Le leadership féminin,
levier de la transformation institutionnelle des universités
21 et 22 octobre
Université de Coimbra, Portugal
Rapport de synthèse
Valérie LEGROS et Smaranda Angheni
Membres du Comité scientifique du RESUFF
Au cœur de la mission du RESUFF, se trouve l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accession des femmes aux mêmes niveaux de responsabilité. Dans la société, dans l’université, on entend beaucoup parler d’égalité, le principe d’égalité est affirmé partout. Les lois l’affirment. Mais la réalité est tout autre. Il s’agit encore actuellement d’une illusion, l’illusion d’égalité comme la définisse des chercheuses en sciences humaines et sociales.
L’université est intégrée dans la société qui l’entoure : elle porte des stéréotypes, des préjugés qu’elle reproduit. L’université reproduit des inégalités comme l’a indiqué Leila Saadé lors de son introduction. Elle participe d’un monde encore largement basé sur la domination masculine.
Il faut trouver des solutions pour faire évoluer la situation, pour dépasser ces inégalités. C’était l’objet de cet atelier d’orientation stratégique sur Le leadership au féminin, levier de la transformation institutionnelle des universités. Cette thématique a été travaillée à travers des angles de vue différents. Cet atelier s’inscrit dans un objectif général qui est de combattre les inégalités dans le monde académique, dans le monde universitaire. Cet objectif est largement partagé par tous et toutes.
Mais combattre les inégalités, c’est déjà montrer ces inégalités, donc faire des recherches, des enquêtes, et aussi intégrer la dimension du genre dans la formation et la recherche :
- Premier exemple, Monica Lopes, responsable du projet SUPERA a montré les inégalités existantes entre les femmes et les hommes dans l’université de Coimbra : la faible place des femmes dans les fonctions de dirigeants, la faible part des femmes dans les jurys de recrutement et d’évaluation pour ne donner que deux exemples. Dans ce projet, 61 indicateurs expriment la transversalité des inégalités.
- De la même façon, dans le domaine des violences sexuelles et sexistes, les 3 intervenantes de la session 2 ont présenté des chiffres montrant la présence de ces violences au sein même des universités francophones.
Ces chiffres sont importants pour montrer la réalité des inégalités. Pour lutter contre l’illusion d’égalité, il faut des preuves, il faut des statistiques, des chiffres qui démontrent la présence des inégalités. En conséquence, un observatoire collectant des données sur le genre est nécessaire pour attester des inégalités et pour fournir des éléments de comparaison en fonction de contextes différents. Ces chiffres constituent donc des outils pour rendre visibles les inégalités, pour ensuite espérer trouver des solutions appropriées. La construction d’indicateurs constitue donc déjà une action politique car elle est la conséquence des objectifs fixés par les établissements universitaires, elle exprime des orientations de réflexion et de travail dans le monde académique et plus largement par la société.
La place des femmes dans le domaine de la science, de la recherche et dans le domaine de la politique a été abordée dans ce séminaire :
Une transformation de l’université est donc souhaitée pour faire advenir une réelle égalité dans le monde académique. Cette transformation ne pourra pas se faire sans une transformation de la société. Les femmes ont leur rôle à jouer à ce niveau. La session 1 a permis d’affirmer que les femmes ont toute leur place à prendre et à affirmer dans les transformations sociétales. Choisir la politique ou bien choisir la science peut se révéler un dilemme pour des chercheuses. Dans les deux cas, il s’agit d’affirmer des valeurs. Au fil des deux journées, de nombreuses valeurs sociales ont été citées : la solidarité plusieurs fois, mais aussi le travail avec les communautés, l’adaptation à un monde mouvant, la biodiversité et la sauvegarde de la planète, l’accès à la dignité. Il s’agit d’aller vers un nouveau modèle d’organisation sociale et politique. L’engagement des femmes dans le développement durable et la responsabilité sociétale est réel : il s’agit de s’engager plus largement dans la responsabilité sociale des universités.
D’ailleurs, comme l’a rappelé Christine Rivalan-Guégo, le modèle du RESUFF est bien d’amener les femmes à s’engager dans des fonctions à responsabilités dans les universités à travers l’affirmation de valeurs comme la solidarité ou la collaboration, la coopération.
La place des femmes dans les sciences permet de relever des difficultés, de transformer des défis en opportunité : Héléna Freitas a choisi le monde académique après un mandat politique. La place des femmes en politique permet aussi de participer à la décision et de mettre en œuvre les valeurs qu’elles portent : Madeleine Dubé en est un parfait exemple.
L’engagement des femmes en politique doit donc être développé. Les femmes politiques font elles-mêmes face à des difficultés, quelquefois venant d’autres femmes, comme en a témoigné Marie-Monique Razoazananera. Les femmes peuvent aussi se penser non légitimes pour accéder à ce type de poste, comme sur d’autres postes.
Dans des discours quotidiens, on entend souvent que les femmes ont des qualités alors que les hommes ont des compétences. La discussion de la dernière session l’a rappelé. La réalité est que les femmes sont tout aussi compétentes. Elles doivent le reconnaître et s’appuyer sur leurs compétences pour accéder et assumer des postes à responsabilités importantes, dans le monde de la politique et dans le monde universitaire.
Qu’elles soient politiques ou scientifiques, ces femmes qui ont fait carrière, sont et doivent assumer leur statut d’exemple, de modèle pour les filles et les jeunes femmes qui souhaiteraient elles-mêmes s’engager dans ces fonctions.
A écouter nos intervenantes, le leadership des femmes s’avère un phénomène complexe qui implique de nombreuses dimensions.
Le leadership des femmes est réel dans la société, pas seulement les grandes entreprises mais aussi dans le développement des TPE, toutes petites entreprises. Elles y accèdent mais encore leur faut-il les moyens financiers, la formation et le foncier comme l’a dit Sabah Chraibi. A l’inverse comme en a témoigné Aida Robbana, dans une grande organisation comme les Nations Unies, des actions sont mises en place et permettent de faire accéder des femmes à des responsabilités et donc à participer à la prise de décision.
Toutes les deux ont signalé la nécessité de favoriser l’autonomie des femmes, de les encourager. Il s’agit donc aussi de prendre en compte une dimension psychologique, comportementale. Celle-ci intègre à la fois la confiance en soi, l’estime de soi comme l’a évoqué Susana Viseu, mais aussi la résilience et la persévérance.
Toutes ces dimensions sont également à prendre en compte pour travailler sur le leadership des femmes à l’université et ainsi réaliser la transformation institutionnelle souhaitée.
A l’université, le leadership des femmes doit s’inscrire dans l’organisation institutionnelle des établissements d’enseignement et de recherche. Pour les femmes, il s’agit de s’engager dans le management des universités, par exemple être plus présentes dans les conseils d’administration comme l’a dit Sabah Chraibi.
L’université forme des jeunes femmes qui pourront obtenir des postes à responsabilité dans l’université, mais aussi des femmes qui pourront créer elles-mêmes leurs entreprises. Dans les deux cas, les professeures et les chercheuses à l’université doivent se donner pour mission d’écouter les étudiantes, de savoir les comprendre, de leur donner le goût d’apprendre, mais aussi de leur faire prendre conscience de leurs compétences professionnelles, ceci pour les aider à faire face aux défis qui seront les leurs. Les femmes enseignantes et dirigeantes aujourd’hui dans l’université sont autant de modèles ou d’exemples pour les étudiantes d’aujourd’hui, c’est-à-dire les dirigeantes de demain.
Toutefois les freins sont nombreux pour qu’elles y parviennent. Parmi ceux-ci, les violences subies par les femmes en constituent un d’importance.
Violences sexuelles et sexistes, violences de genre en milieu universitaire constituent des appellations différentes pour des réalités partagées en Europe, au Maghreb et en Afrique noire, au Bénin.
Les violences qui ont été évoquées sont de nature différente, de l’agression verbale aux agressions physiques, aux viols, avec la spécificité des filles agentes de rapports sexuels dans l’université au Bénin comme l’a décrit Yvette Onibon.
Ces violences contre les femmes découragent leur volonté et elles s’arrêtent avant de prendre des responsabilités, comme l’a dit Soukaïna Bouraoui. Ces violences provoquent un état de sidération : « j’étais gelée » dit une étudiante alors qu’un professeur lui caresse les jambes sous la table.
Pour lutter contre ces violences, Christine Rivalan-Guégo a fourni un témoignage éclairant, proposant des actions, des bonnes pratiques dans l’université de Rennes 2 en France. Cette expérience montre que pour agir réellement il faut une politique volontariste, un engagement réel de l’établissement et une pérennité de ces actions sur plusieurs années.
Un objectif est de lutter contre la culture du silence pour reprendre l’expression de Marie-Monique Razoazananera, donc d’accompagner les jeunes femmes pour qu’elles expriment leur agression et leur mal-être conséquent. Plus généralement, Yvette Onibon a insisté sur la nécessité de partager les informations auprès des potentielles victimes, d’éduquer les filles et les garçons pour réduire les risques, pour transformer leur vie et pour les autonomiser.
En définitive, le travail sur les violences a pour objectif de créer « un espace plus paisible et plus égalitaire » comme l’a indiqué Soukaïna Bouraoui.
Face à ces constats, des stratégies et des actions peuvent être mises en œuvre pour faire avancer la place des femmes dans le leadership des universités :
- Lutter contre toutes formes de violences de genre dans le milieu universitaire pour fournir aux étudiantes un environnement de travail sécurisé, pour leur permettre de mener leurs études universitaires à terme,
Mais aussi :
- Fournir des compétences juridico-administratives pour les aider à accéder à des postes à responsabilités, pour Cristina Robalo Cordeiro
- Accroitre le nombre de jeunes femmes dans les écoles d’ingénieurs, ce qui passe aussi par la valorisation des sciences exactes chez les filles,
- Travailler sur l’employabilité des filles et des femmes, comme l’a proposé le recteur de l’AUF, C’est aussi travailler sur l’adéquation entre les formations universitaires et les nouvelles tendances de l’économie, comme l’a dit Aida Robbana pour les Nations unies.
- Soutenir les femmes dans leur accession à ce type de postes et une fois qu’elles y sont arrivées, garder les talents, soutenir les cadres,
- Proposer des modalités de travail qui permettent la flexibilité du travail, l’obtention de congés parentaux par les deux parents, la conciliation vie personnelle/vie professionnelle : cela a été dit plusieurs fois. Susana Viseu a même conseillé aux jeunes femmes de bien se marier !
- Visibiliser les compétences des femmes, toutes ces compétences qu’elles ont acquises au fil de leur parcours, au fil des difficultés qu’elles ont pu rencontrer, ces compétences qui sont le fruit d’une forme de résilience, d’une persévérance évidente
- Partager de bonnes pratiques entre universités, comme dans le consortium de l’AUF, comme dans le projet SUPERA, comme dans de nombreux projets européens et internationaux.
Bien d’autres exemples de stratégies ont été évoquées. Toutes ne peuvent pas être reprises dans cette synthèse.
Des éléments pour la conclusion :
Le sujet de cet atelier d’orientation stratégique est on ne peut plus d’actualité. L’université se veut égalitaire : elle le professe mais elle doit encore progresser pour accepter les femmes de manière égalitaire à tous les niveaux de responsabilité dans l’université.
Madeleine Dubé nous a dit : « Les femmes sont intelligentes, compétentes, elles ont une perspective pour la société. » Donc il faut les préparer pour des postes de leadership économique et également pour la société.
Pour le mot de la fin et pour reprendre et paraphraser la citation du secrétaire général des Nations unies, « La réalisation des droits des femmes bénéficiera à tous et à toutes » : l’accession des femmes à des postes à responsabilités à l’université bénéficiera à tous et à toutes.